• Mercredi, 8h30. Les mains dans les poches et une matinée de presqu'été qui n'en fini plus d'être moite. Du vent qui s'enfonce dans la poitrine pour ralentir les pas. Au bout des yeux, noyés dans les cils, le centre psychiatrique. Juste une blouse à aller chercher. Sur le parking du centre, les têtes habituelles de l'individu A, trouble schizoaffectif (F25.2) et de l'individu B, Trouble envahissant du développement (F84).
    Ceux là ont le droit de descendre dans le parc, 2 fois une heure par jour. L'individu A, hospitalisé après avoir tué sa soeur dans un moment délirant, a mis 3 ans à obtenir ce privilège. En psychiatrie, il faut rassurer les équipes pour avoir le droit. Le droit de fumer, de sortir, de baiser.
    Mon téléphone sonne. "Madame C. refuse d'aller en sismo. Faut que tu viennes la voir". Ca ne m'est jamais arrivé. Je pense à mon chat, une femelle noire de 2 ans. Que ferait-elle ? Elle irait, à condition qu'il y ait de la bouffe à la clef. Ces gens me font manger si je leur obéi, alors j'y vais. Madame C pleure dans sa chambre. Elle ne veut pas aller à sa sismothérapie (anciennement appelés "éléctrochocs") parce qu'elle a peur d'aller mieux, et donc de quitter l'hopital. Effectivement, la sismothérapie a une efficacité spectaculaire sur plusieurs maladies psychiques, dont la mélancolie dont souffre Mme C. Elle va bien mieux après les 4 premières séances de choc électrique qui l'on a chaque fois, comme précu, fait convulser pendant 35 à 50 secondes. Elle a recommencé à s'alimenter, elle fait de mots fléchés 3 étoiles, elle joue aux dominos. Et elle est prète à retourner vivre chez sa soeur, car personne d'autre ne pourrait la recevoir. Sa soeur ne vient plus la voir depuis qu'elle sait que ça va mieux, depuis qu'elle ne peut plus s'appitoyer sur l'absence de sort de Mme C.
    Ce matin là, Madame C. (F31.5 : trouble affectif bipolaire, épisode actuel de dépression sévère avec symptômes psychotiques) a pris conscience de ce qu'était la guérison, ce qu'elle refuse. Jusque là nous lui vendions le mieux-être comme on vend de la soupe, en lui disant qu'il faut aller mieux, en gardant cette sobre morale comme seul délibération. Et nous avons tout fait pour, et elle va mieux, et ce n'est qu'en allant mieux qu'elle se rend compte que ce n'est absolument pas ce qu'elle veut. La vie normale la terrifie, l'immobilise, lui tord la bouche et lui fait saigner les yeux.
    La santé c'est le silence des organes, un silence qui démasque d'autres bruits monstrueux et terrifiants, que la maladie jusqu'ici occultait.
    Madame C. veut rester en robe de chambre, veut fumer, veut mourir pour rejoindre sa mère morte. Les infirmières lui prennent le bras, le serrent, la sacoue, lui demandent quel âge elle a. Madame C. s'en fiche, elle pleurt, elle a retrouvé les bruits de la dépression, les bruits qui camouflent le tumulte du bien-être. Je vais la voir, parce que c'est ce que l'on attend de moi. J'économise de l'argent pour m'acheter de nouvelles enceintes. Des Kliptsch, 2 fois 3 voies, sensibilité 99 dB, 150 watt RMS par canal, finition acajou. Je parle à Madame C., les mains dans les poches et les yeux dans les siens. Elle veut bien venir, elle a peur qu'on la dispute après. J'appelle le bloc d'anesthésie, nous passerons à 9h30 au lieu de 9h, une ambulance va arriver, il ne faudra pas être plus en retard que ce que l'on est déjà. L'infirmière crie car madame C. pleure encore. Madame C. est laide, vieille, mal habillée, ces cheveux sont gras, elle sent mauvais ce matin, sa peau est pâle et grêvée de petites taches de vieillesse. Elle a 56 ans, lui répète l'infirmière, c'est un âge où l'on s'assume, pas un âge pour pleurnicher comme une enfant. Madame C. pleurniche effectivement comme une enfant, une enfant particulièrement débile et moche, une enfant qui préfèrerait être malade certains jours plutôt que de sortir du lit.
    Nous partons, l'ambulance sent le tabac. Vague souvenir, vague dégout d'autre temps. Mme C. est laide dans le rétroviseur, ses lèvres sont fines et blanches, on devine ses seins maigres et froids malgré la robe de chambre en pilou. L'infirmière est belle et me dégoute. Je ne baise plus depuis des mois, c'est bien comme ça. Personne n'a rien dit depuis que Mme C. a cessé de pleurer, n'ayant plus de symptômes à partager.
    La patiente est installée dans la salle de sismothérapie. On la deshabille, ces seins sont comme je l'avait craint. L'infirmière lui dit qu'elle pue, qu'elle aurait au moins pu se laver. Madame C. fond en larmes, se recroqueville, rougit, pète. L'infirmière est contente d'être en colère, car elle pense que Mme C. est une grosse connasse d'hystérique (trouble de la personnalité, axe 2. Note : les troubles de la personnalité ne sont pas des maladies, mais des façons pathologiques car rigides d'être au monde, d'intéragir avec les autres. Les hystértiques sont les pires, et toutes les femmes les détestent car elles leur renvoie l'image de l'échec obligatoire des comportements de séduction. Les hommes s'en foutent, mais sont solidaires avec leurs infirmières). Mme C. souffre de dépression sévère, ce qui acutise des comportements régressifs, infantiles, rendant vifs et saillants des traits d'immaturité, de théatralisme, de mise en avant des affects. Elle pleure, se tortille, appelle son père. L'infirmière s'énèrve, lui pince le bras, lui demande d'arrêter son cinéma. Mme C. voudrait bien, mais elle ne peut cesser d'avoir envie d'être malade. Elle pue, elle le sait. Sale petite fille puante dont les grosses larmes trempent les électrodes que je lui colle sur les tempes, faisant courir le risque de court circuit lorsque les 900 milli ampères de la décharge éléctriques passeront d'une éléctrode à l'autre.
    La machine à sismothérapie délivre 500 volts au maximum, une énergie de 25 à 500 millicoulombs pendant une période de 0,2 à 4 secondes. La tête du malade offre une résistance de 0 à 3000 ohms à travers laquelle passera l'arc éléctrique thérapeutique, la foudre salvatrice. Les larmes, qui sont une solution salée et donc très conductrice de courant, sont à risque de provoquer un court circuit et donc d'empêcher le courant de traverser le cerveau, avec brulures du crânes et des yeux. Les yeux doivent donc rester secs et clos. La patiente se débat, recroquevillée, cachant sa nudité et sa puanteur d'un revers de bras. Les bras de l'infirmière et de l'anesthésiste participent involontairement à cette pudeur, tachant de la forcer à rester immobile, allongée, inerte. Malade. Elle refuse, se débat, pleure et bave, larmoie et renifle, appelle sa mère morte, veut mourir. On la maintient plus fort encore, parce que ca commence à suffir ces enfantillages. Puer et refuser la sismo, c'était déjà bien assez.
    Je colle mes éléctrodes partout où la machine l'exige. Front, poitrine, bras, ventre. La peau est fine, veinée de pourpre, tachée. Rougie par l'effort. Mme C. veut rester immobile et minuscule, recroquevillée au pied du brancard, les mots pris dans la morve et les râles. L'infirmière et l'anesthésiste ont la chance d'avoir un planning qui guide leur décisions : la séance doit se terminer au plus tard à 10 heures. Mme C. n'a elle, que sa puanteur et sa tristesse pour être et resister. A trois, ils la maintiennent, et parviennent à lui enfoncer une canule dans la bouche pour ne pas s'étouffer pendant la crise convulsive. Son visage n'en est que plus laid, ses grimaces tordues accompagnant la violence des gestes de ceux qui la maintiennent. Elle brutalise ses traits pendant que les autres lui brutalisent les membres. Je ne dis rien, je pense à écrire un texte sur le sujet. Pour cela, il faut que les choses aillent au bout. Moralement, cette position est tenable, puisque la patiente ne gardera normalement aucun souvenir des 10 minutes qui vont préceder le moment ou le courant lui traversera le crâne. Amnésie per-critique, qui laissera un habile trou noir en lui et place du rictus de l'infirmière qui lui maintiens les bras immobiles et les yeux fermés.
    De ma place, je peux voir les seins de l'infirmière qui se penche sur la malade. Ils sont blonds et gras, tendus entre ses côtes dures et le lit d'hopital. Je ne la désire pas vraiment, trop occupé à vérifier l'impédance de la tête de Mme C. : 2420 Ohms, ce qui est une bonne valeur.
    On lui injecte vite, entre deux ruades, les drogues anesthésiantes nécessaires à ce qu'elle ne se souvienne pas de ce que l'on s'apprête à lui faire subir. 15 milligrammes de curare pour empecher les muscles de se contracter pendant que les neurones déchargeront tous en même temps. Les seringues vides, on me demande d'envoyer le choc. On a 30 secondes pour ce faire. Je perd du temps, parce que j'essaye d'essuyer les larmes salées de la dame. Pas le temps, on me dit. Il faut choquer tout de suite. Je vérifie la charge, les éléctrodes. Pas le temps, on me dit encore. J'appuie sur le bouton jaune "treat" et délivre la charge éléctrique dans le corps de la malade.
    Ce qui coute cher à Mme C., ce n'est pas ce qu'elle est ou ce dont elle souffre. Ce ne sont pas les classification diagnostiques qui la font classer parmi les hystériques. Les livres n'y sont pour rien, les manuels de psychiatrie n'ont pas le pouvoir de répendre ce fiel, cette violence. Ce n'est pas la faute de l'esprit de la science si on en arrive à violenter des mélancoliques puantes. La société, les institutions n'y sont pour rien, n'ont ni n'auront jamais l'intelligence ou le pouvoir de permettre telles situations. On stigmatise les manuels diagnostiques en psychiatrie, on les tient responsable de la perte du sujet (l'individu) comme enjeu essentiel, remplacé par la maladie. Non. Non, bordel, ce n'est ni la sismothérapie ni le DSM-IV (manuel statistique des troubles mentaux, 4e édition) qui sont source d'imbécilité et de violence.
    Ce ne sont pas les livres qu'il faut bruler, ce sont les gens.


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  • Etat des lieux - état des liens

    Recommencer à écrire ici, c'est reprendre une partition écrite pour un seul instrument, une seule représentation. Faire semblant d'un message projeté au monde, alors que la pulpe des doigts, elle, sait bien que tout ces mots n'ont qu'une seule destination et cette destination c'est toi et il n'y a que toi que lire ce toi fasse réagir car il te désigne et te défie comme il m'a défié de l'écrire comme si souvent il me défie de penser ton nom et tes mots.
    Mes pensées jouent à croire que blogguer c'est parler à la ville et au monde et pas seulement à toi alors se dresse cette foutue contradiction, le mur impossible entre ce que les choses devraient être et ce qu'elles sont vraiment, la distance invisible et incalculable, comme ces étoiles qui ont l'air si proches les une des autres lors d'une nuit claire, la distance entre le vouloir et l'élan, entre ce que les muscles étreignent et ce qui les tend.
    Ce qui se passe, c'est que tu me deviens abstraite. Pas étrangère, mais au contraire aussi présente et invisible que la colonne vertébrale dans le dos, qui supporte nos crânes mais reste invisible à nos yeux.
    C'est ce que je voudrais. Que ces os, ces vertèbres, faute de chair faute de baisers et faute de duels, se contractent et durcissent comme des musles tétanisés et deviennent ivoire, os, trophées et diamants que l'on arbore en secret, que l'on devine sous la peau et qui en modèle les contours et les tourments. Je veux tout ça, tous ces moment, les avoir entre les nerfs et les muscles, seulement cachés d'une fine pellicule de peau tiède qui épousera les contours que nos triomphes voudront bien lui donner, tortueux et dorés de blanc, abrupts et couverts d'une ombre brillante.
    Je m'ennuie tant veux être modelés de ces temps, être motorisé et propulsé par ces pas passés, devenir eux et demeurer autour d'eux, leur être sanctuaire et ossuaire à la fois, n'en devenir que l'apparence et le relief. En faire mes os, les laisser électriser mes nerfs. Et y revenir toujours et ne pas admettre que tout cela ne soit qu'abstrait et toujours préférer la chair à l'air pur, toujours préférer le geste à la partition.
    Tout ça c'est nous et ce nous c'est moi. Je ne veux pas d'une putain de boite à souvenirs - je veux des pensées dures comme l'os, des instants pris dans le corps comme des flèches fichées dans le liège, des [] qui font danser les artères et garder les yeux ouverts.

    Le chat sur les genoux, sa queue balaie mes poignets doucement, ses griffes qui tancent la peau des genoux.
    Il se passe tant de choses silencieuses.


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  • Ils dormaient ensemble depuis trois jours. Elle avait accepté, faute de trouver une raison pour que rien ne se noue entre eux. Ils s'étaient peu parlé, parce qu'ils avaient trop de temps. C'est ce qu'il se disaient. "Je veux tout savoir sur toi", lui disait-elle. Et il la regardait en retour en laissant ses paupières un peu masquer ses yeux et répondait sur un ton égal "Je veux tout savoir sur toi" et ensuite ils se taisaient, pour s'endormir. Trois jours passèrent, les mots ne changèrent pas.
    Trois jours, pour comprendre que tout celà était déjà trop. Que les barrières entre leurs deux pensées étaient déjà perméables, parce qu'ils se touchaient. Que leurs doigts qui se mêlaient parlaient milles langues, quand leur gorge ne savait que quelques mots hagards. Alors, ils ne cherchèrent pas à se dire plus et se suffirent d'intentions.
    Ce qu'ils ignorèrent, c'est que ces intentions valaient des mots, ces mots valaient des discours, ces discours valaient des décisions. Ils se dirent peu de mots, et les lèvres minces de la fille se souvint de sourires. Le garçon, lui, fut tout en étreintes et se dit que les yeux qu'il gardaient plissés l'étaient surement aussi à cause d'un éclat trop vif, de ses lèvres à elle que close elle faisait resplendir, que son silence à lui était piégé de contemplations d'elle.
    Il pouvait peu en dire, car les mots qui lui passaient derrière les yeux étaient noyés des reflets de son visage ocre et d'or, étouffés d'elle, vraie et sans ombre, sans le noir gras qui collait toujours à ses mots à lui, comme maquillés d'un khôl trop gras.
    Elle avait fait fait suffoquer ses mots. Il décida que rien ne pourrait mettre une foutue fin à leur éclatant silence. A son tour elle se tu, et l'air entre eux repris consistance. Elle se tut, et alors il se déshabilla. Une fois nu, il ferma les yeux, et esperais qu'elle comprenne que tout le reste était faux.
    Rien d'autre ne pourrait les interesser, car ils étaient accompagnés d'une mélopée qu'ils ne pourraient réentendre.


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  • Parlons de cette plaie par balle
    la trajectoire du projectile dans la tête
    elle a une plaie d'entrée, pas de sortie
    où la balle est elle logée ?
    juste là où la commotion s'est arrêtée

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